Conte pour enfant : LILY ET LE CHEVAL SAUVAGE

En ce temps-là, l'Ouest américain était vraiment l'ultime frontière. Entassant leur famille et leurs quelques biens dans des chariots branlants, les pionniers partaient pour les nouvelles terres en espérant y trouver un avenir meilleur.

Après des semaines de route, Lily et ses parents étaient parvenus dans la grande plaine de la rivière que les Indiens appelaient Torrent Rouge. Le convoi poussiéreux avait fini par s'immobiliser pour de bon. Lily et les siens avaient découvert leur parcelle de terre, que le père avait aussitôt commencé à labourer. Il n'y avait pas de temps à perdre : le printemps était déjà bien avancé, et pour avoir une chance d'obtenir une récolte dès cet été, il fallait semer sans tarder.

   En quelques semaines, la vie s'était organisée et les tentes avaient laissé la place à de petites maisons en bois. Lily aidait beaucoup ses parents mais durant son temps libre, elle montait sur la colline voisine admirer les paysages qui s'étendaient à perte de vue. Là, assise dans l'herbe, elle restait des heures à rêver, observant la nature. Lily n'avait ni frère ni sœur. Elle se sentait souvent bien seule. Elle aurait bien voulu, comme les fils McDuncan, avoir un jeune chien. Il lui arrivait parfois de jouer avec les autres enfants de pionniers, mais la plupart obéissaient aveuglément au pire de tous, Mark Tedison. Ce garçon adorait commander et pouvait se montrer violent si les choses ne se passaient pas comme il le voulait. En venant sur la colline, Lily se mettait aussi à l'abri de tout cela.

Un jour, alors qu'elle était assise contre le tronc d'un arbre à contempler le ciel, un bruit sourd attira son attention. La petite fille regarda autour d'elle pour essayer de découvrir ce qui avait pu le provoquer, sans succès. Lorsque le bruit se fit entendre à nouveau, elle se faufila à sa poursuite, au-delà du sommet de la colline, plus loin qu'elle n'était jamais allée. Elle n'avait pas le droit de franchir le haut de la colline, mais ce qu'elle découvrit de l'autre côté lui fit oublier tous les conseils de ses parents. Là, en contrebas, trois chevaux sauvages buvaient dans un ruisseau du Torrent Rouge. C'était leur galopade qu'elle avait entendue.

L'un d'eux était particulièrement beau ; sa splendide robe noire comme la nuit brillait de reflets bleutés. Lily avait bien entendu dire que dans cette région encore sauvage, des chevaux vivaient en complète liberté, mais elle n'aurait jamais cru en voir en vrai. En rentrant chez elle, elle ne faisait que penser à eux. Leur image ne la quittait pas, surtout le beau noir qu'elle baptisa Saphir.

Le lendemain, elle se dépêcha de ranger le bois coupé et d'aller nourrir la basse-cour pour repartir vers la colline. Vérifiant bien que personne ne la suivait, elle retourna à son poste d'observation, mais les chevaux n'étaient pas là. Lily décida de les attendre. Elle s'installa confortablement derrière un gros rocher d'où elle avait un excellent point de vue. Il lui fallut patienter des heures, mais elle en fut récompensée : les trois chevaux arrivèrent enfin. Lorsqu'elle se redressa pour mieux les voir, elle fit craquer une branche. Le bruit sec attira l'attention de Saphir, qui cessa de brouter. Avec un mouvement de tête majestueux, il inspecta les environs. Lily retint son souffle, mais un autre bruit venu de plus loin alerta Saphir à nouveau. Cette fois, lui et ses deux compagnons s'enfuirent au grand galop. Lily sentit la tristesse l'envahir. Elle espérait pouvoir les regarder plus longtemps. Elle aurait au moins eu le plaisir de les voir galoper dans la magnifique lumière, soulevant derrière eux un panache de poussière.

   Au cours des journées qui suivirent, Lily s'organisa pour les voir chaque jour. A force de les attendre et de les observer, elle avait fini par connaître les heures où ils venaient boire, et elle s'arrangeait pour aller dans sa cachette de la colline plusieurs fois par jour. Saphir était sans doute le chef et Lily se prenait à rêver qu'elle pourrait peut-être un jour devenir son amie. Elle ne voulait pas le capturer, elle ne voulait surtout pas lui retirer sa liberté. Elle espérait simplement pouvoir l'approcher, le caresser et marcher à côté de lui.

   Au fil des mois, le campement s'était mis à ressembler de plus en plus à un village, et la récolte s'annonçait bonne. Lily se partageait entre son travail, les études démarrées depuis peu et l'observation de Saphir. Elle ne jouait presque plus jamais avec les autres enfants. Mark Tedison lui jetait des regards noirs, mais Lily s'en moquait. Trop préoccupée par Saphir, elle ne faisait pas attention à lui. Ce qui comptait pour elle, c'est que désormais, à force de patience, Saphir avait appris à la tolérer dans son paysage. Elle n'était plus obligée de se cacher pour l'observer. Bien, sûr, les premières fois, le fougueux cheval avait fui, mais il s'était peu à peu habitué à la petite fille qui restait des heures à le regarder de sa colline. Parfois, quand elle était en retard à leur rendez-vous, Lily avait même l'impression que Saphir l'attendait.

Trop heureuse, elle ne s'était pas rendu compte que Mark l'avait suivie. Aussi rusé que mauvais, le sale gamin avait vite compris tout le bénéfice qu'il pourrait tirer de la capture d'un si bel animal… Pendant des jours, il mit au point un redoutable plan : il allait se servir de Lily comme appât. Puisque le cheval avait désormais confiance en elle au point de la laisser venir chaque jour un peu plus près, il allait en profiter…

Lorsque Lily fut en mesure d'approcher le cheval à seulement quelques mètres, elle décida d'en parler à ses parents. Elle voulait partager son bonheur avec eux, qui travaillaient si dur.

- Je crois que dans quelques jours, je pourrai le toucher ! expliqua-t-elle.

Ses parents ne furent pas trop contents qu'elle se soit autant éloignée sans le leur dire, mais ils se montrèrent heureux pour elle.

Après des mois de patience, Lily était à deux doigts de toucher son rêve. Chaque jour, elle s'asseyait près de la rivière, tout au bord de l'eau. Saphir arrivait avec ses compagnons, mais eux restaient à l'écart. Le cheval buvait, soufflant bruyamment des naseaux. Puis, selon un rituel patiemment établi, Lily se levait pour se tenir à quelques pas de lui. Les deux restaient ainsi, sans bouger, la queue de Saphir fouettant seulement l'air. Puis Lily lui parlait d'une voix douce.

- Tu es si beau... Dans quelques jours, je vais te caresser. Tu sais, Saphir, j'en rêve depuis que je suis arrivée ici…

Trois jours plus tard, Lily osa enfin. Saphir semblait nerveux, inquiet. Elle tendit sa petite main et la posa, timidement, sur la magnifique robe noire. Elle ferma les yeux et soupira. Le cheval ne recula pas, mais quelque chose le dérangeait. Tout à coup, une corde dissimulée dans la poussière du sol emprisonna la jambe de Saphir. L'animal se cabra et Lily fut projetée à terre. L'étalon avait beau se débattre, il restait prisonnier. Des cris de victoire alertèrent Lily. Mark et sa bande accouraient pour achever la capture de Saphir. Le cheval ruait, donnait toute sa puissance, jetant des regards implorants à la petite fille. Comprenant le piège dans lequel Saphir était tombé, Lily se redressa et, folle de colère, se précipita sur Tedison :

- Laisse-le tranquille, laisse-le partir !

- T'inquiète, petite, t'auras ta part quand il sera vendu. Sans toi, on n'aurait jamais réussi.

Lily le frappa de toutes ses forces, mais le garçon était bien plus grand et beaucoup plus fort qu'elle. Il l'envoya rouler sur le sol. Alors que Tedison s'apprêtait à passer un lasso autour du cou de Saphir, celui-ci fit une ruade incroyablement puissante, l'envoyant voler comme un sac. Le cheval se débattit tellement qu'il réussit à se libérer de ses cordes. Les complices de Mark avaient beau essayer de le maîtriser, il n'y avait rien à faire. Superbe et redoutable, l'animal se dressait sur ses jambes arrière pour frapper ceux qui s'approchaient à coups de sabots. Lorsqu'il fut complètement dégagé du piège qui l'entravait, il prit la fuite.

Lily était sonnée, mais trop en colère pour faire attention à ses blessures. Mark gémissait sur le sol, replié sur lui-même.

- C'est bien fait pour toi ! lança-t-elle. Tu n'es qu'une brute !

A sa grande surprise, beaucoup des complices de Tedison furent d'accord avec elle.

Le soir, au village, l'ambiance était au règlement de comptes. Mark s'était fait sévèrement punir, mais cela n'apaisait pas le chagrin de Lily.

- Je ne reverrai jamais Saphir, se lamentait-elle. Il n'aura plus jamais confiance en moi.

Ses parents essayèrent de la consoler, mais rien n'y fit. Chaque jour, elle retournait de l'autre côté de la colline, mais Saphir n'était pas là. La petite fille faisait courageusement le chemin avec l'espoir qu'un jour, Saphir réapparaîtrait. A chaque fois, juste avant de repartir, elle se cachait derrière le gros rocher pour pleurer.

Quelque temps plus tard, alors que la nuit allait tomber et que Lily avait les yeux rougis de chagrin, un bruit attira son attention. Elle tourna la tête et découvrit Saphir, qui se tenait près d'elle. L'animal souffla sur sa joue. Lily sentit la joie l'envahir. Non seulement Saphir était revenu mais en plus, il était monté jusqu'à elle !

Ce soir-là, Lily dormit mieux que jamais. Elle avait retrouvé sa joie de vivre. Demain, elle avait rendez-vous avec son nouvel ami…

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